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Cérémonie 2025 de commémoration de la rafle du 25 novembre 1943 : discours de Michel de Mathelin, premier vice-président de l'Université de Strasbourg

Mis à jour le 27 nov. 2025 |

Publié le 27 nov. 2025

Michel de Mathelin lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du 25 novembre 1943
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    histoire Université

En ce jour, nous commémorons comme chaque année la funeste rafle qui eut lieu le 25 novembre 1943 à l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, après que l’Alsace fut redevenue allemande en 1939. 

Cette commémoration est un devoir de mémoire pour honorer notre université, qui fut la seule à être décorée de la médaille de la résistance, du fait des drames qu’elle subit durant la deuxième guerre mondiale ; une université résistante contre le mensonge, l’oppression et la négation des droits humains ; une université résistante qui refusa le retour dans l’Alsace annexée au sein de la ReichsUniversität créée en 1941 à Strasbourg. 

Les germes de cette résistance, on peut les trouver vingt-quatre ans plus tôt ; Du 21 au 23 novembre 1919, lors des fêtes d’inauguration de l’Université de Strasbourg redevenue française. Les mots du professeur Pfister, Doyen de la Faculté des Lettres de l’époque sont très clairs sur le projet politique de cette nouvelle université. Il disait : « Elle montera la garde du Rhin. Elle sera la semeuse des grandes idées de justice, des droits de l’homme et des droits des nations que la France a proclamés et que l’Entente a fait triompher. Par-dessus l’Allemagne elle s’unira à ces peuples généreux qui ont subi la plus dure des oppressions et qui, avec l’Alsace, renaissent à la vie ». Marc Bloch fut nommé chargé de cours d’histoire du Moyen Age dans cette nouvelle université de Strasbourg en 1919. Il deviendra professeur en en 1927 et y restera jusqu’en 1936.

Se tenait, chaque 22 novembre, au Palais universitaire, la séance solennelle de rentrée en présence du corps professoral et de toutes les autorités régionales et locales, ainsi que des plus hautes personnalités venues de Paris et de l’étranger. 

À partir de 1939, ce 22 novembre est toujours commémoré mais hors d’Alsace à Clermont-Ferrand. En effet, l’Université de Strasbourg est repliée en Auvergne, avec ses étudiantes et ses étudiants, une partie de ses services et de ses Professeurs, dans les locaux de l’Université de Clermont-Ferrand. Comme le disait l’introduction des rapports des sept doyens des Facultés qui composaient alors l’Université de Strasbourg en 1939 : « les dispositions nécessaires avaient été prises pour que la vie universitaire de l’Université et de ses sept Facultés n’eût pas à souffrir de leur transplantation : l’activité scientifique reprit donc normalement dès le début de l’année scolaire 1939 ». C’est donc au sein de notre université sœur de Clermont-Ferrand que s’est poursuivi l’enseignement et la recherche de l’Université de Strasbourg, au cœur de l’Auvergne, dans ce qui était la zone libre après la défaite de 1940. 

Cette défaite, Marc Bloch mobilisé à sa demande malgré son âge et ses charges de familles qui le dispensaient des obligations militaires, l’avait analysée dans son célèbre ouvrage « L’étrange défaite », écrit en 1940 juste après la débâcle. Lui qui disait de l’Alsace : « J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux » revint dans le sein de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand en 1940. Il est d’abord exclu, parce que Juif, de la fonction publique, par le régime de Vichy. Il fut ensuite « relevé de déchéance » pour « services scientifiques exceptionnels rendus à l'État français ». Il reprit son enseignement en janvier 1941 dans le corps des enseignants de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Il rejoindra la résistance, le Réseau Combat, puis le mouvement Franc-Tireur. Il sera en 1944 arrêté, enfermé dans la prison de Montluc, torturé et fusillé le 16 juin au nord de Lyon». 

L’Université repliée à Clermont-Ferrand fut, petit à petit, attaquée parce qu’elle se revendiquait l’Université de Strasbourg et s’y développait un esprit de résistance. A partir de 1943, les menaces de la part du régime de Vichy, puis de la Gestapo se concrétisent dans le but de contrer les activités de résistance et de fermer l’université.

Paul Collomb, professeur éminent de notre université, spécialiste des papyrus égyptiens est assassiné lors de la rafle du 25 novembre 1943, terrible date, dont nous nous souvenons en ce jour. Près de 500 personnes sont arrêtées lors de cette rafle. Au final, 130 étudiantes et étudiants, professeurs, membres du personnel seront déportés dans les camps de concentration en Allemagne. Seulement une trentaine reviendront.

Ces mortes et ces morts sont les noms inscrits dans le hall de ce Palais. Certains étudiants et étudiantes, certains membres de l’administration ou certains professeurs sont revenus des camps et regagnèrent l’Université de Strasbourg, revenue en son Palais Universitaire en novembre 1945, après avoir survécu à l’horreur et la négation de ce qui fait de nous des êtres humains. Ce sont ceux qui, peu à peu, ont témoigné de l’horreur du système concentrationnaire nazi et des souffrances de la guerre. 
C’est dans ce souvenir que nous devons nous rassembler, au moment où la guerre est revenue en Europe, au moment où les droits humains deviennent trop lourds à porter, comme si le parfum de régime autoritaire devenait plus doux que celui de démocratie. C’est aussi dans le lieu où nous sommes que reprit forme la culture européenne, dans cette aula, à qui fut donné plus tard le nom de Marc Bloch, qui entrera au Panthéon le 16 juin prochain. C’est en effet dans cette aula, conjurant les horreurs de la guerre, que se sont rassemblés pour la première fois les parlementaires fondateurs du Conseil de l’Europe, organisation qui défend depuis Strasbourg la démocratie si souvent méprisée, l’État de droit, si facilement bafoué et les droits humains qui font l’objet d’attaques quotidiennes parce qu’ils défient les abus de pouvoir et le totalitarisme et protègent l’humain contre les raisons d’État.

Souvenons-nous avec notre université sœur de Clermont-Ferrand et écoutons le témoignage de celles et ceux qui furent en première ligne pour ne jamais oublier. 

Le poète Paul Eluard a écrit «  Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons ».

Je vous remercie de votre attention.

Michel de Mathelin, premier vice-président de l'Université de Strasbourg

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