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Le larmoyeur : version intégrale

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04/05/2017

Le larmoyeur

« Tiens, il pleut, dit le petit prince.

- Non, il ne pleut pas : il pleure » lui répondit une voix derrière lui.

En se retournant, le petit prince se trouva face à une jeune femme aux cheveux courts et au sourire resplendissant qui tenait entre ses mains un grand sac plein d’eau argentée.

« Qui es-tu ? lui demanda le petit prince.

- Je suis le larmoyeur.

- Qu’est-ce que c’est ça un larmoyeur ?

- C’est moi ! lui rétorqua-t-elle en riant. »

Le petit prince rit à son tour. C’était une drôle de planète. Il y avait de l’eau partout : des bassins et des lacs à perte de vue.

« Pourquoi portes-tu des sacs plein d’eau ? Tu ne sembles pas en manquer ici, l’interrogea le petit prince.

- Tu n’écoutes donc pas ? Ce n’est pas de l’eau : ce sont des larmes, répondit le larmoyeur.

- Tu as beaucoup de larmes, observa le petit prince. Ce sont les tiennes ?

- Non, ce ne sont pas les miennes. Je suis larmoyeur, ces larmes c’est mon travail.

- Et en quoi ça consiste ton travail ?

- Je m’occupe des chagrins du monde. »

Le petit prince trouva que c’était là un bien étrange travail que de s’occuper des chagrins des autres. La jeune femme, comme lisant dans ses pensées lui dit :

« Il faut bien que quelqu’un prenne soin des larmes des gens. C’est précieux les larmes.

- Et qu’en fais-tu ? Tu les gardes toutes ici ? Toutes les larmes du monde ?

- Non, je ne garde rien pour toujours. Nos chagrins nous appartiennent. Moi je ne suis qu’un intermédiaire. Je garde les chagrins des gens jusqu’à ce que leurs propriétaires soient capables de vivre avec eux. Je vais te montrer : tu vois ici, c’est le bassin des genoux écorchés. Quand les enfants apprennent à marcher et à vivre dans le monde, souvent, ils tombent, et quand ils tombent, ils pleurent. Ils ne pleurent pas parce qu’ils ont mal au corps mais parce qu’ils ont mal au cœur. Ce sont les premières hontes de ne pas réussir à faire comme les grands. Les larmes de ces enfants vont dans ce bassin. Tu as vu comme l’eau est claire ? Là-bas, c’est le lac des disparus : il est rempli des larmes versées par les gens qui ont aimé et qui ont perdu ceux qu’ils aimaient. Ces larmes sont très brillantes. Et regarde la cascade qui s’écoule de ce côté-ci. Tu remarques la force des larmes ? Elles jaillissent violemment, c’est comme un torrent. Il s’agit des larmes de colère et d’injustice. Elles sont très floues. N’aventure pas ta main sous cette cascade : ces larmes font mal. »

Le petit prince écoutait attentivement le larmoyeur lui expliquer toutes ces différentes larmes et scrutait la multitude de bassins, de réservoirs, de lacs et de rivières qui jonchaient cette planète. Une question lui vint à l’esprit :

« Comment est-ce que tu fais pour rendre aux gens leurs chagrins ?

- Ça dépend des larmes qu’ils ont versées, répondit la jeune femme. Je récolte toutes ces larmes soigneusement mais elles n’auront pas toutes le même traitement. Par exemple, les larmes de jalousie et d’envie ne servent à personne. Je les renvoie dans les océans. Les larmes de colère et d’injustice, je les rends pendant l’été cachées dans un orage. Elles forment une pluie si violente qu’on ne la supporte que pendant la chaleur de cette saison. Les larmes des enfants, je les tisse minutieusement en un grand linge que je dépose tôt le matin sur les fleurs pour en faire de la rosée. Quant aux larmes des disparus, j’en fabrique de petits cristaux de neige que j’amasse et que je vais déposer tout en haut des plus hautes montagnes. Les Hommes appellent ça les neiges éternelles.

- Alors on finit toujours par retrouver son chagrin ? demanda le petit prince.

- Oui, répondit le larmoyeur. Mais il est plus léger qu’avant. Les Hommes veulent toujours aller plus vite et ne pas perdre de temps, mais un chagrin, on doit prendre le temps de le comprendre et de ne pas en avoir peur. Quand on a fait ce chemin-là, alors il prend une petite place dans notre cœur, on vit avec lui tous les jours et il devient comme un vieil ami. »

En partant de chez le larmoyeur, le petit prince se trouva rassuré de se dire que si un jour, il avait du chagrin, celui-ci serait entre de bonnes mains.

Manon Tendil

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