Date de publication : 12/09/24
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L’Ukraine et Gaza sont les deux grands brasiers de par le monde qui se disputent la une de nos médias. Ils cachent cependant bien d’autres conflits armés dont on parle moins : la Somalie, le Soudan, le Yémen pour n’en citer que quelques-uns. Mais il est une situation dans le monde qui doit susciter notre juste et nécessaire révolte : c’est le sort des femmes en Afghanistan.
Depuis le retour au pouvoir des Talibans en 2021, elles ont été placées sous le joug de lois fallacieuses, les confinant dans l’espace domestique, limitant leur liberté de se mouvoir dans l’espace public, leur refusant dès la petite enfance l’accès à l’école et à l’enseignement. Profitant d’une offensive diplomatique pour sortir de leur isolement international, les Talibans ont, le 22 août dernier, franchi un degré jusque-là jamais atteint dans l’atteinte faite aux femmes. Sous le contrôle d’un « ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice », 52 décrets stipulent qu’en plus de toutes les privations de liberté dont elles sont affligées, s’ajoutait désormais l’interdiction de prendre la parole en public, de chanter ou de déclamer de la poésie.
Ce véritable féminicide social commis par les Talibans est une négation par un sexe, du droit d’exister de l’autre. Accéder à la parole, dès les premiers balbutiements du nouveau-né jusqu’à l’acquisition du langage dans toutes ses subtilités, c’est ce qui nous fait advenir au monde comme êtres humains. Or cette accession à l’humanité par la parole est aujourd’hui refusée à des femmes au nom d’un droit prétendument divin qui n’est, en fait, que la loi d’hommes qui se sont approprié tous les pouvoirs, jusqu’à celui de donner la mort. La voix des femmes est en fait insupportable aux Talibans comme à tous ceux qui veulent imposer leur ordre moral sous prétexte qu’il faut éviter que les hommes soient tentés par les femmes. Si tel est vraiment le but de ces lois monstrueuses, alors ce sont les hommes qu’il faut éduquer, et non les femmes qu’il faut opprimer.
Le père d’Albert Camus a affirmé, devant le spectacle de la torture en Algérie : « Un homme, çà s’empêche ». Les régimes totalitaires et sanguinaires refusent d’écouter la voix des femmes, et bâillonnent celles qui, depuis la nuit des temps, subvertissent l’ordre établi quand celui-ci se construit sur l’injustice, lorsqu’elles crient la détresse des enfants sacrifiés aux guerres que les hommes se livrent. Mais aucun bâillon n’a réussi à étouffer leurs cris.
En cette rentrée, la communauté universitaire manifeste sa solidarité sans faille aux femmes d’Afghanistan et s’engage à accueillir celles privées de la liberté de se mouvoir, d’apprendre et d’aimer à leur guise. Nous sommes depuis le début aux côtés de notre collègue Pinar Selek, diplômée de notre université, injustement traquée et poursuivie depuis des années par les tribunaux de son pays. Notre université est depuis toujours engagée pour développer le respect de l’autre, de tout autre. Sur nos campus, nous faisons tout pour que personne ne soit inquiété pour sa couleur de peau, son genre, sa religion ou sa nationalité. La diversité et l’inclusion supposent d’abord que l’on accepte l’égalité en droit et en dignité de chacune et de chacun. Et si nous tenons à la liberté académique, nous la défendons d’autant mieux que nous nous engageons concrètement pour la liberté des autres.
Dans ce domaine, pas d’autosatisfaction, car nous devons et pouvons toujours faire mieux. Nous avons encore du chemin à faire, tant les violences faites aux femmes, ici, chez nous, font encore trop souvent partie de notre quotidien. C’est notre devoir de vigilance et de civilisation de mener cette action de tous les instants pour qu’enfin l’égalité entre femmes et hommes s’impose. Nous dédions donc notre rentrée aux femmes d’Afghanistan. Nous voulons leur dire que si on leur refuse la parole, nous, les membres de la communauté universitaire de Strasbourg, sommes leur voix.
Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg
Strasbourg, le jeudi 12 septembre 2024