Déjà en 1998, Etienne Trocmé, chartiste et exégète, ancien président de notre université, mettait en évidence le caractère impérieux d’une formation universitaire pour les cadres musulmans, dans un rapport sur le développement de l’enseignement des sciences religieuses à l’université, rapport commandé par Albert Hamm, président lui aussi de l’université de Strasbourg.
Depuis presque de vingt ans, nos gouvernements successifs, indépendamment des alternances politiques, ont réfléchi à la manière de former les formateurs pour l’islam qui est en France. Cela passe nécessairement par la maîtrise de la langue française, la découverte de la diversité culturelle, l’histoire, la connaissance des principes et des valeurs de la République et de la laïcité, les fondements du droit, etc. Le traumatisme de janvier nous impose aujourd’hui de passer aux actes.
Si l’État souhaite soutenir, dans quelques grands pôles universitaires français, le développement d’enseignements universitaires d’islamologie selon les critères épistémologiques scientifiques qui y prévalent, nous sommes prêts – nous le faisons d’ailleurs déjà. S’il s’agit de donner une formation universitaire à des cadres musulmans par l’approche historique et critique des nombreux champs disciplinaires concernés par l’Islam, droit, économie, sociologie, philosophie, histoire, linguistique, culture, nous sommes prêts. S’il faut aller jusque dans l’exigence de niveaux de diplômes universitaires, voire nationaux, nous sommes également prêts. Avec l’EHESS, Strasbourg délivre déjà des diplômes universitaires et des diplômes nationaux sur ces sujets. La formation plus spécifiquement cultuelle ou liturgique serait, quant à elle, du seul ressort des instances dans lesquelles les musulmans se reconnaissent.
De par son histoire, l’université de Strasbourg, humaniste,née de et dans la diversité confessionnelle et philosophique, n’est pas la moins bien placée aujourd’hui pour relever ce défi qu’elle concrétise dans plusieurs formations. Ouvert en 2011 avec le soutien du Ministère de l’Intérieur, répondant à une demande exprimée tant par les collectivités publiques que par diverses communautés religieuses, notre faculté de droit propose un diplôme d’université, « Droit, société et pluralité des religions » qui s’adresse aux étudiants intéressés par la compréhension des relations entre les pouvoirs publics et les institutions cultuelles : cadres religieux, personnels des organismes cultuels, personnels des collectivités territoriales, étudiants souhaitant compléter leur formation par une approche sociologique, historique et juridique des questions religieuses dans le cadre républicain.
Un master d’islamologie en faculté de droit a vu le jour en 2011. Cette formation a pour objectif l'acquisition de connaissances approfondie de la religion, de la pensée et de la société musulmanes, ainsi que du droit musulman dans une perspective historico-critique et comparative. L'université de Strasbourg est aujourd'hui le seul établissement en France à proposer une formation en droit musulman et en islamologie sanctionnée par un diplôme universitaire.
Un autre master, « Islam, droit et gestion »s’adresse aux juristes, aux spécialistes des sciences sociales, aux économistes, aux cadres associatifs, ainsi qu'aux cadres et intellectuels liés ou non au monde musulman, quel que soit leur horizon scientifique et culturel. Il s'adresse également aux futurs universitaires souhaitant se spécialiser dans l'enseignement et la recherche relatifs au monde musulman.
Ces formations procèdent d’une compétence séculaire reconnue à l’université de Strasbourg dans le domaine des sciences religieuses. Certes, la présence en son sein des deux facultés de théologie protestante et catholique y contribue ; celles-ci s’inscrivent d’ailleurs dans l’épistémologie scientifique, y compris par un travail de réception historique et comparatiste des textes fondateurs. Mais l’université de Strasbourg excelle aussi dans le domaine des études hébraïques, l’histoire des religions, la sociologie, l’ethnologie, parmi d’autres. Le développement de diplômes universitaires et la création de quelques pôles d’excellence sur l’islam pourraient prendre la forme d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS).
Ouvrir ces formations à l’université, c’est aussi permettre que la diversité de la jeunesse se reconnaisse mieux dans son université. L’université de Strasbourg, doit mettre au service de tous son leadership en sciences religieuses, en raison de l’enjeu considérable que représente aujourd’hui une formation au bénéfice d’un islam qui veut vivre en France. C’est un pari qu’elle fait sur les valeurs qui la font vivre : la tolérance, l’ouverture à l’altérité de l’autre, le débat, la critique et la passion pour la science.
Cet amour de la vérité, que nous a enseigné Marc Bloch, ne doit pas diviser, il doit bien au contraire rassembler. Ainsi nous mettons en oeuvre l’esprit du 11 janvier.
Alain Beretz, président de l’université de Strasbourg